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Construire - Documentaire Ponts et Chaussées

Viaduc de Millau, Fondation Vuitton, Opéra de Pekin... Les ingénieurs des plus grands ouvrages de Génie Civil s'interrogent sur l'avenir de la construction.

Cinq premières minutes du film "Construire".

Origine du Projet

D'abord intitulé "Les Grands Bâtisseurs du Génie Civil", ce projet de documentaire avait été lancé par Sophie Mougard, Directrice de l'ENPC, afin de conserver une trace vivante des ingénieurs de renom qui avaient enseigné aux Ponts et qui allaient bientôt partir à la retraite. Objectif premier : s'assurer qu'aucun élève ne quitte l'École sans connaître les grands noms et les grands ouvrages qui y sont associés.

Lorsque Sophie Mougard a quitté ses fonctions en 2022 pour être remplacée par Anthony Biriant, le projet a été porté par Marie Mathieu-Pruvost, Directrice des Études, et Aphrodite Michali, Responsable du collège Génie Civil et Construction (GCC).

Ayant collaboré avec Ponts Alumni, la Fondation des Ponts et l'Association Ponts Étudiants Réfugiés sur plusieurs projets audiovisuels, j'ai été convié à participer à l'appel d'offres restreint par le biais de ma société de production ChezFilms.

Les grands axes de ma proposition étaient les suivants :

  • Raconter une histoire. C'est mon grand truc ! Le risque inhérent à un documentaire institutionnel est de devenir une accumulation d'interviews organisées de manière chronologique ou thématique, mais sans véritable enjeu narratif. Il est essentiel de construire une histoire forte, avec un début, un milieu et une fin ; un récit capable d'emporter le spectateur, quelle que soit sa familiarité avec le sujet. Très tôt – c'était la première ligne de mon dossier – j'ai signalé que cet aspect serait central dans mon approche.
  • Organiser des consultations aux Ponts. C'est un autre écueil fréquent : vouloir définir cette histoire trop tôt, parfois dès le dossier initial, sans avoir tous les éléments en main. Pour un projet de cette envergure, c'est mon avis que la première étape ne devrait pas être l'histoire elle-même, mais un processus pour écrire l'histoire de façon collaborative. Autrement dit : prévoir des entretiens avec les personnes clés pour définir les enjeux du film, puis des points de validation pour s'assurer qu'on avance dans une direction commune. Le récit doit prendre sa source au sein de l'équipe qui porte le projet, sinon le contenu final risque de ne pas être exploité à sa juste valeur.
  • Interviews approfondies et reportages. Les interviews constitueraient le cœur du film. Il n'était donc pas question de les réaliser à la va-vite sur un chantier ou dans un bureau, entre deux rendez-vous. Il fallait prendre le temps de rentrer dans les sujets en profondeur. J'ai donc opté pour des interviews longues (3 heures chacune) tournées en studio. L'utilisation d'un fond vert permettrait d'incruster derrière chaque intervenant un rappel graphique sobre de l'ouvrage principal associé à son témoignage, facilitant la compréhension pour les spectateurs moins avertis. Pour dynamiser et illustrer le propos, certains intervenants seraient suivis en mode reportage – dans leurs bureaux, sur leurs chantiers ou, au besoin, en utilisant des images d'archives.
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Interview Alain Pecker, Pont Rion Antirion
Interview d'Alain Pecker avec, en fond, un rappel graphique du Pont Rion-Antirion.
  • Créer un dialogue. L'objectif n'était pas de cloisonner chaque intervenant dans sa partie, au contraire : après avoir été présenté au spectateur, chaque ingénieur entrerait "en dialogue" avec les autres par le biais du montage. Cela donne souvent des échanges plus signifiants que lors d'un vrai débat : l'interview en profondeur permet à chacun d'exprimer librement son point de vue en prenant tout le temps nécessaire. Puis, à certains moments propices, ces opinions clairement formulées s'opposent ou se renforcent sur des sujets thématiques importants qui font avancer le film.
  • Un double livrable. En plus du film principal d'une heure, j'ai proposé de fournir un montage supplémentaire de chaque interview qui couvrirait la quasi-totalité de l'entretien. Il aurait été dommage d'organiser des échanges aussi poussés pour ne conserver au final que quatre minutes de chaque intervention – contrainte issue d'un calcul simple : durée du film (52 minutes) divisée par le nombre d'intervenants (entre 12 et 15). Ainsi, pour chaque interview, nous avons livré un montage d'une à deux heures qui peut être visionné sur demande à La Source, la médiathèque des Ponts.

L'idée maîtresse de ma proposition était la suivante : faire le film que j'aurais aimé qu'on me montre quand je suis entré aux Ponts. Souvent, les étudiants choisissent une Grande École en visant "la meilleure du classement" (même si c'est peut-être moins vrai pour les Ponts qui attirent les passionnés de construction) sans forcément saisir la nature et les enjeux des métiers qui les attendent. Je souhaitais que le film présente aux étudiants, dès leur première année, la réalité concrète du métier et les questions auxquelles avaient été confrontés leurs prédécesseurs.

Écriture du film

Le travail d'écriture s'est articulé autour de deux rendus successifs : un rendu "fil rouge" pour valider la direction générale – de quoi parlons-nous, quels sujets écarter et vers quel enjeu tendre ? – puis un synopsis plus détaillé, déroulant la séquence des thèmes abordés.

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Reportage : carnet de Bernard Vaudeville lor de la conception de la Fondation Vuitton
Carnets de Bernard Vaudeville lors des ses recherches structurelles pour la Fondation Vuitton.

Plusieurs éléments ont nourri cette phase :

  • Entretiens préparatoires : Avant et pendant l'écriture, j'ai conduit entre trente et quarante entretiens, tous en présentiel, avec des professeurs, chercheurs, anciens élèves et professionnels de l'écosystème des Ponts. L'objectif était de cerner et creuser les enjeux à ne pas manquer. On discutait brièvement de leur parcours, de leur activité, puis j'abordais rapidement les questions relatives au film : quelle évolution majeure avez-vous perçue dans votre métier ? Quelle question aimeriez-vous poser aux grands bâtisseurs ? Quel sujet trop peu discuté mériterait de figurer dans le documentaire ? À l'inverse, quels lieux communs sur la construction, le Génie Civil ou le BTP le film devait-il éviter ? Ces échanges permettaient également de définir les personnes qui seraient interviewées dans le documentaire.
  • Intégrer "la relève" : Il est vite apparu que le film gagnerait beaucoup à inclure les plus jeunes générations, celles et ceux que Marie Mathieu-Pruvost appelait "la relève" – potentiellement les prochains enseignants des Ponts. Un souhait également exprimé lors de nombreux entretiens : célébrer l'existant, oui, mais parler aussi des transformations actuelles, des nouveaux défis et de la manière dont les plus jeunes s'approprient cet héritage. Plus un documentaire historique, donc, mais un film ancré dans les enjeux contemporains, présentant le parcours de plusieurs générations d'ingénieurs, des années 70 à aujourd'hui, de façon aussi chronologique que possible.
  • Un film pour tous : Enfin, il était essentiel que la dimension scientifique / technique, bien que présente, ne constitue jamais un obstacle à la compréhension. Elle ne devait pas empêcher un spectateur lambda, plus ou moins versé dans le sujet, d'être touché par les expériences de vie présentées : la passion, l'ambition, les obstacles, les remises en question, les joies, les échecs, les leçons... Cette matière-là devait constituer le cœur du film. Science et technique seraient un aspect parmi d'autres au service de l'histoire.

Partant de ces sources, mon objectif a ensuite été de "tisser" le récit en veillant à ce que chaque fil narratif existe, évolue et s'entrelace avec les autres :

  • Le fil chronologique : Le film débute dans les années 70 et se termine aujourd'hui, suivant les générations successives d'ingénieurs qui témoignent des pratiques du métier à leur époque.
  • Le fil thématique : Les grands enjeux (la course au gigantisme, la gestion des risques, le rôle de l'architecture, les avancées et les risques liés aux outils technologiques...) sont abordés au moment où ils ont le plus de sens et bénéficient du regard croisé de tous les intervenants présentés jusque là.
  • Le fil des ouvrages : Les "focus projets" de chaque intervenant sont choisis et présentés de manière à se répondre mutuellement, offrant à la fois une diversité et une progression.
  • Le fil de la Transition : La transition écologique est toujours présente. D'abord suggérée "en creux" au travers des pratiques et de certaines prises de conscience, elle devient de plus en plus centrale à mesure que le film progresse, jusqu'à devenir le point focal.
  • Le fil des Ponts : En filigrane, ces différentes progressions sont analysées sous l'angle de leur impact sur l'École des Ponts, tant au niveau des enseignements que de son organisation.

Tournage : Interviews et reportages

Interviews - le cœur du film

Chaque interview a été précédée d'une pré-interview, presque toujours en présentiel. Cet échange d'une à deux heures permettait de faire connaissance, de baliser les sujets importants et de choisir ensemble le "focus projet".

Pour les interviews elles-mêmes, après avoir envisagé un tournage en studio extérieur, le choix s'est porté sur le studio de l'École des Ponts. Avantage : lieu familier connu de tous les intervenants – il était fondamental que les invités se sentent à l'aise. Inconvénient : le studio n'était pas équipé comme on le souhaitait ; cela nécessitait de monter et démonter chaque jour le matériel caméra et lumière qui venait de l'extérieur. La mise en place initiale du setup a demandé environ trois jours : repérage, ajuster la position des caméras et des lumières, veiller à l'éclairage uniforme du fond vert, etc. Paul Chauvin, notre chef opérateur, a opté pour un éclairage principal dit "Booklight" : la lumière de deux projecteurs est dirigée sur un réflecteur puis à nouveau diffusée (le réflecteur et la toile formant un angle, à la manière d'un livre ouvert, d'où le nom), produisant une source à la fois puissante et douce.

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Tournage Construire - Interview 3 caméras sur fond vert
Interview de Jacques Combault. Dispositif 3 caméras sur fond vert avec lumière "Booklight".

Assez tôt durant la préparation, l'idée est venue de mettre à la disposition des intervenants de quoi écrire ou dessiner. Nous avons donc intégré au dispositif une table d'architecte filmée en continu par une troisième caméra dédiée. À tout moment, ils pouvaient se saisir d'un stylo pour appuyer visuellement leurs propos – un geste naturel pour des enseignants.

Un dispositif particulier a été mis en place pour Antoine Picon qui intervenait en tant qu'historien. Son propos servant à replacer en contexte les différentes interventions, l'échange a été réalisé sur site, à la Source (médiathèque des Ponts) pour le différencier des bâtisseurs.

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Interview Antoine Picon à la Médiathèque de l'École des Ponts
Interview d'Antoine Picon à la Source, médiathèque de l'École des Ponts.

L'équipe technique se composait généralement de cinq personnes : Paul Chauvin (Chef Opérateur), Chloë Champion (Assistante de production), Matthieu Massard ou Vincent Robidou (Ingénieurs du son), Émilie Bak (cheffe maquilleuse), et moi-même (Réalisateur).

Chaque interview durait trois heures et se structurait en trois temps :

  1. Leur parcours d'ingénieur, des études aux premières expériences professionnelles, jusqu'aux principaux ouvrages qui ont marqué leur carrière.
  2. Focus Projet : Analyse détaillée d'un ouvrage particulièrement significatif, avec ses implications politiques, techniques et culturelles.
  3. Transformation du métier et conseils aux élèves : Leur perception des défis actuels de la construction, notamment face aux impératifs de la transition écologique.

Ces trois heures passées à échanger avec chacun comptent parmi les moments les plus intéressants de ma carrière de réalisateur. Tous les intervenants ont fait preuve d'une sincérité, d'une humilité et d'un désir de partage qui se voient à chaque minute du film.

Reportages

Afin d'illustrer les propos des intervenants et de donner un aperçu de leur quotidien, nous avons réalisé plusieurs reportages sur site :

  • À l'École des Ponts, nous avons filmé la "Semaine Design", durant laquelle les élèves de première année sont mis au défi de construire une structure, ainsi que la cérémonie de remise des diplômes. Nous y avons retrouvé deux de nos intervenants, Bernard Vaudeville (Président du collège Génie Civil et Construction) et Marc Mimram (Professeur).
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Marc Mimram et Bernard Vaudeville, semaine design ENPC
Marc Mimram et Bernard Vaudeville lors de la Semaine Design organisée à l'ENPC.
  • Chez TESS Atelier d'Ingénierie, nous avons suivi son fondateur, Bernard Vaudeville, qui nous a présenté dans son bureau les carnets originaux contenant les premiers concepts pour la Fondation Vuitton.
  • À Saint-Maur-des-Fossés, nous avons accompagné Sébastien Garnier, Responsable Méthodes pour Eiffage, sur le chantier de la future gare de la ligne 15 du Grand Paris Express, réalisant des prises de vues avec une équipe au sol et un drone.
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Reportage drone du chantier de la future gare de Saint-Maur-des-Fossées
Plan drone du reportage sur la future gare Saint-Maur-des-Fossés de la ligne 15.
  • Nous avons visité le Tribunal de Paris en compagnie d'Audrey Zonco, Ingénieure structure, et Dominique Rat, Architecte, pour discuter de leur collaboration sur cet ouvrage.
  • Au sein d'AREP, nous avons rencontré Raphaël Ménard, Président du Directoire, qui nous a exposé l'organisation du plus grand cabinet d'architecture de France.
  • À Cézy, nous avons suivi Xavier Cespedes et Mathieu Arquier, de la société Strains, qui nous ont détaillé les futurs travaux de réhabilitation du Pont de Cézy. Nous les avons ensuite retrouvés dans leurs bureaux parisiens pour examiner les plans et maquettes 3D.
  • À Clichy, Anne Chevallier et Patrick Barbier, de l'agence Kairn, nous ont présenté le chantier d'un hôtel en pierre de taille, en collaboration avec Sylvain Dare, tailleur de pierre.

Images d'archives

Les images d'archives proviennent de sources multiples, notamment :

  • Les intervenants eux-mêmes, qui nous ont fourni des photos et vidéos personnelles.
  • Cri Production, société ayant documenté la construction du Viaduc de Millau, ainsi que d'autres sociétés de production disposant d'images d'époque.
  • L'INA, Alamy, et autres banques d'images.

Financement

Afin de soutenir le financement du film, j'ai été très heureux de présenter et de défendre le projet lors de "La Nuit des Ponts", une soirée de levée de fonds organisée à l'amphithéâtre de la Sorbonne pour le 25ème anniversaire de la Fondation des Ponts.

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Financement du film - Nuit des Ponts
La "Nuit des Ponts" à l'amphithéâtre de la Sorbonne, durant laquelle le film a reçu une partie de son financement.

Cette session de pitch en public a été un succès puisqu'elle a permis de lever plus de 250k€, dont plus de 60k€ pour le documentaire, grâce au soutien de 111 donateurs et grâce à la participation de Vinci et Setec TPI. Les fonds ont servi à financer la fin du tournage et la post-production.

Post-Production

Avec pas moins de cinquante heures de rush, le montage du film a pris environ six semaines, sous la direction de Pauline Chabauty, chef monteuse.

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Construction d'une maquette par des élèves lors de la semaine Design de l'ENPC
Construction d'une maquette lors de la Semaine Design... et une bonne métaphore du processus de montage.

Les rushes étaient d'abord stockés, dupliqués puis synchronisés (image / son) après chaque session de tournage. Puis des montages séparés ont été créés pour regrouper les différentes interventions par sujets thématiques. Ces timelines sont devenues des ressources précieuses pour trouver "la bonne intervention au bon moment".

Plusieurs versions des quinze premières minutes ont été envisagées jusqu'à trouver le ton juste. Quand on ne travaillait pas dans le même bureau, Pauline et moi échangions des séquences à distance jusqu'à nous mettre d'accord sur un début "qui fonctionne et qui donne envie". Tout l'enjeu a ensuite été de construire un film à la hauteur des enjeux posés.

En parallèle, Rémi Boubal, compositeur, a commencé à travailler sur la musique originale du film. Parfois, nous partions de musiques existantes qui servaient de référence, parfois simplement de l'émotion demandée par la scène. Le mixage a ensuite été réalisé par Dominique Ciekala.

Après une première projection de validation par l'École organisée à la Maison des Auteurs de la SACD, certaines séquences ont été transformées, puis le film a été étalonné et mixé, avant d'être livré.

Réception

Une première projection a été organisée à l'Opéra Bastille.

Nous avons été ravis de voir que le film a reçu un très bon accueil de l'École, aussi bien de la part de ses commanditaires que du personnel n'ayant pas été impliqué directement dans sa fabrication.

Comme prévu, le film sera montré chaque année aux élèves intégrant l'École des Ponts. Il a également vocation à être partagé sur internet prochainement. On vous tient au courant.