Comme souvent, j'ai acheté ce livre par hasard parce que je l'ai ouvert au milieu et qu'une phrase m'a plu. En l'occurence (de mémoire) : "Tu n'aurais pas envié le ténor au manteau en poil de chameau si tu avais deviné sa peur et su comment il allait mourir." Puis j'ai laissé passer quinze ans. Il y a deux jours, je suis retombé dessus et j'ai lu le premier poème qui m'a enchanté :

Seigneur Dieu, j'ai aimé la confiture de fraise
Et la sombre douceur du corps féminin.
Comme aussi la vodka glacée, les harengs à l'huile,
Les parfums : la canelle et les clous de girofle.
Quel prophète puis-je donc faire ? Pourquoi l'esprit
Aurait à visiter quelqu'un de pareil ? Tant d'autres
À bon droit furent élus, dignes de confiance.
Mais moi, qui me croirait ? Car ils ont vu
Comme je me jette sur la nourriture, vide les verres,
Et regarde avidement le cou de la serveuse.
En défaut et conscient de l'être. Désireux de grandeur,
Sachant la reconnaître où qu'elle soit,
Et pourtant d'une vue pas tout à fait claire,
Je savais ce qui reste pour les moindres comme moi :
Le festin des brefs espoirs, l'assemblée des fiers,
Le tournoi des bossus : la littérature.

-- Czeslaw Milosz, Confession, 1986

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Czeslaw Milosz