Petit vague-à-l-âme sur l'autoroute.
Sans raison. Mal nulle part. Pas de nouveau gouffre dans ma vie. Rien qui ne doive m'inquiéter plus que d'habitude.
Puis j'ai compris : rien d'excitant ne m'attendait à Paris. Ni à l'arrivée, ni le soir-même, ni dans la semaine qui s'annonçait. Pas une semaine désagréable en perspective – pas du tout – mais rien qui me rende impatient.
Ce qui m'a fait réaliser deux choses.
La première : mon bonheur tient presque entièrement à l'anticipation de bonheurs à venir.
Il faut que quelque chose brille dans mon futur.
Soit une petite étincelle dans mon futur immédiat : une pâtisserie, un rendez-vous, une distraction. Soit un grand soleil dans mon futur lointain : le succès d’un projet de longue haleine, un changement de vie, la promesse d'un lendemain qui chante.
Étrangement, la taille réelle de l'étoile ne compte pas, seulement sa taille apparente. Si elle est petite, elle doit être proche – je la veux maintenant. Si elle est lointaine, elle doit être grande – que ça vaille le coup. De sorte que son diamètre vu du présent reste toujours à peu près le même : il me faut une certaine quantité de luminosité à l'horizon.
Cette façon de voir permet, me semble-t-il, de comprendre certains comportements.
Les gens sans perspective à long terme, par exemple, ceux qui ont perdu confiance en l’avenir (qui n’ont pas de soleil lointain) compensent souvent par une multitudes d’étincelles à court terme. C’est la première étape des addictions : se vautrer dans les plaisirs immédiats pour oublier l'absence d'une direction globale.
Inversement, il est plus facile de maintenir une discipline jour après jour quand on vise une lumière étincelante à l'horizon. La récompense qui brille au loin permet de mieux supporter les sacrifices du quotidien.
Or justement : dans la voiture, rien ne brillait. Et je me sentais... Las. Sans entrain. Presque déprimé. C’était la deuxième prise de conscience :
Et si c'était ça, mon état de base ? Ma neutralité émotionnelle ?
L'état que je qualifie de "déprimé" est-il en réalité mon état "tout va bien" que j'interprète de travers à cause d'une trop grande dépendance au futur ?
Suis-je devenu comme un drogué trop obsédé par son fixe pour remarquer les sources de joie qui sont devant moi ? Me faut-il nécessairement une récompense à l'horizon pour profiter de l'instant ? Est-il possible que j'aie organisé ma vie (et depuis combien de temps ?) de façon à toujours attendre quelque chose, quitte à l'inventer ? Quitte à gâcher ce qui est ici et maintenant ? Les fantasmes à venir ont-ils désensibilisé mon palais aux émotions plus subtiles à portée de main ?
Mais surtout : puis-je recalibrer mon cerveau pour être moins hypnotisé par le futur et par cette camelote qu'il agite sans cesse devant moi ?
(Réponse : oui, très facilement. Bisou.)