Sur la Maternité

On oublie trop vite les gens qui nous facilitent la vie.

On pense trop longtemps à ceux qui nous posent problème.

Ceux qui aplanissent le chemin, font la courte échelle au bon moment, aident de façon discrète quand on en a le plus besoin, ceux-là ont tendance à s’effacer au profit des autres : ceux qui créent le drame, compliquent la situation, présentent une menace. Un problème résolu, dit-on, c’est une chose de moins à penser. Par là-même, la main qui aide peut facilement être oubliée avec le problème qu’elle résout, là où le diable survit dans les complications qu’il crée.

Le cerveau s’efface au profit du monde, disait Alan Watts. Si je perçois le bruit de la rivière et la lumière du soleil, c’est parce que je ne suis pas sans cesse obnubilé par l’existence de mon système nerveux et l’activité de mes neurones. La machine disparaît au profit de l’expérience. 

Par bien des côtés, l’instinct maternel fonctionne de la même façon. En pourvoyant en silence aux besoins vitaux, la mère permet à l’enfant de se concentrer sur le monde plutôt que sur sa faim, sa soif ou sa peur. Elle-même ne peut rester trop longtemps centre d’attention au risque de créer un attachement qui nuit à l’éveil. Elle a vocation à s’effacer au profit de tout le reste.

Jour de Pêche

Dans la série « j’ai retrouvé une mine de dessins de confinement que je poste quand je suis pressé », voici un dessin de confinement que je poste parce que je suis pressé :

Jour de Pêche (Procreate)

Mémoire d’un temps où il y avait encore des insectes et des poissons. Dépêchez-vous, ça part vite.

L'Effet Caméra

Souvent, quand je regarde un documentaire, je me demande comment des gens qui prétendent être si atteints, si déprimés, parfois si malveillants, peuvent sembler si ouverts, si sincères et avoir autant de recul au moment de raconter leur histoire. L'hystérique est parfaitement calme. Le menteur compulsif raconte toute la vérité. Ceux qu'on présentait comme souffrant de retards intellectuels ou émotionnels font preuve d'une clarté et d'une intelligence hors du commun dans leur introspection.

Ce n'est pas de la mise en scène, ni de la manipulation. C'est l'effet caméra.

Un jour, au milieu du train-train, un réalisateur les a appelés et s'est intéressé à eux. Il leur a posé des questions, a voulu en savoir davantage sur leur vie. Il ne semblait pas y avoir de prix à cet intérêt, pas de piège, rien à donner en retour. La confiance est née. Puis, le jour de l'interview, toute une équipe s'est mise en branle : on a installé des lumières, du matériel, déplacé des meubles et, au moment opportun, cette machinerie s'est tue pour recueillir leurs propos. Le réalisateur, le chef opérateur, l'ingénieur du son, l'assistant, tous ces gens étaient à l'écoute.

On cherche tous à prouver qu'on existe.

Par bien des côtés, la peur de ne pas être vu est la mère de toutes les peurs. À un petit niveau – l'irritation d'être bousculé par quelqu'un qui ne fait pas attention – ou à un niveau plus essentiel – la sensation d'être ignoré par ses parents, par ses amis, par le monde en général.

Lors d'une interview, cette peur s'éteint. Les lumières, la caméra, l'attention de toute l'équipe sont braquées sur soi. On a le temps. On se sent écouté. Les barrières qu'on avait mises en place pour se protéger, les réflexes qu'on avait créés pour prouver qu'on est là, pour attirer l'attention, tout cela peut être mis en pause.

On révèle la personne formidable qu'on serait à chaque instant si le monde prêtait attention.

Encore la Plage ?

Oui, désolé : je ne peux pas m'empêcher. Mais à chaque fois, je suis épaté.

La plage de Trouville en mai.
"La vie est belle" en coquillages.

Incroyable qu'en se retirant, la marée ait écrit un texte en français de façon si nette. Bravo la nature.

The Stagemaster : Deuxième Étape

Reçu cette semaine, à un moment particulièrement opportun (si seulement je croyais aux signes) :

Certificat de dépot de mon scénario à la Library of Congress.

Écrit en six mois ; laissé reposer presque cinq ans ; trouvé la bonne fin récemment puis déposé à la Library of Congress. The Stagemaster : scénario de comédie dramatique situé en Grande Bretagne, écrit en anglais et que je vais pouvoir commencer à diffuser. Contacts anglophones bienvenus.

Qu’est-ce que la Réactivité ? (Et Pourquoi c’est Mal)

En entreprise, bien sûr, c’est une qualité. On en veut à tous les étages.

En l'essence, la réactivité est la capacité d'analyser et de réagir à une situation qui sort du cadre initialement prévu. Lorsqu’on a conçu un plan qui, de toute évidence, ne marche plus (« c’est normal que le sous-sol soit inondé comme ça ? »), il faut être capable de mettre de côté les solutions périmées (« donc on ne rebranche pas le courant ?») pour initier des actions davantage adaptées à la réalité du problème (« on devrait peut-être dire aux enfants de remonter ? »).

Donc si on vous pose la question en entretien d'embauche : oui, vous êtes réactif. À fond.

En philosophie orientale, c’est une qualité plus mitigée. Devenir moins réactif est même une mesure de progrès : un bouddhiste qui n’est pas fier de son comportement dira « j’ai été réactif » ou « j’étais dans la réactivité ».

Dans ce contexte, la réactivité est le fait d’agir immédiatement sur la base de ses pensées et de ses émotions. Sans tampon, sans temporisation, sans leur donner une chance d’évoluer.

Pour les sages, pensées et émotions sont transitoires. Comme chaque chose en ce bas monde, les contenus psychiques apparaissent, suivent leur cours, puis disparaissent. La sagesse consiste à observer cette danse sans se laisser piéger par chaque humeur qui passe.

Car souvent, nous disent-ils, on accorde trop de crédit à nos pensées. On imagine que chaque idée est la représentation mentale d’une réalité sous-jacente ; que chaque émotion qui pointe à l’intérieur est la conséquence d’un phénomène qui se produit à l’extérieur ; qu’il existe un rapport 1:1 entre le monde physique et l’image qu’on en a. Dans cette vision des choses, il est primordial d’agir sans attendre puisque les pensées sont la réalité – ou en sont, tout du moins, de fidèles ambassadeurs.

Sauf qu'un minimum d'introspection met rapidement cette idée à mal.

Quand on ne les entretient pas artificiellement, force est de constater que les pensées... passent. Les émotions passent. Tout passe. Et généralement de façon très indépendante de la réalité à laquelle on les pensait attachées.

D’ailleurs, une même réalité peut se présenter de façon très différente au fil de la journée : inquiétante le matin, indifférente à midi, plus motivante le soir. Trois perceptions pour un même objet. Mais pour être témoin de ce changement (ce que les bouddhistes désignent sour le terme d'impermanence ou anitya), il faut ne pas agir à la va-vite le matin. En se lançant tout de suite dans l'action, en étant réactif, on ne se laisse pas la chance de voir disparaître cette première émotion au profit de la suivante, puis de la suivante, et ainsi de suite, révélant ainsi la nature essentiellement éphémère de nos contenus psychiques.

C'est d'autant plus important que, comme l'écrit Acharya Prashant dans Advait in Everyday Life (ne vous fiez pas à la couverture, ce bouquin est une mine) : la graine et le fruit de l'action ne font qu'un.

Autrement dit : l'action initiée sous le coup de la colère n'apporte que davantage de colère. L'entreprise bâtie sur la peur ne mène qu'à davantage de peur. L'émotion à la source du geste est celle qu'on retrouve à son dénouement, que le projet réussisse ou non.

Pensez-y : connaissez-vous beaucoup de millionnaires qui arrêtent les affaires une fois leur premier coup réussi ? Des politiciens qui ne veulent pas davantage de pouvoir une fois le premier poste atteint ? Des mafieux qui renoncent à la violence une fois les premiers rivaux éliminés ? Loin de la neutraliser, l'action valide et encourage l'émotion originelle.

Pour cette raison, l'action est rarement la bonne solution pour gérer ses émotions.

Transformer le monde extérieur ne mettra pas fin à cette tristesse. Accepter ou refuser cette proposition ne neutralisera pas cette angoisse. Utiliser la violence verbale ou physique n'arrêtera pas cette colère. Au contraire, l'action risque d'exacerber les émotions négatives et les pensées problématiques auxquelles elle était censée mettre fin.

Alors, que faire ? C'est à la fois le paradoxe et la solution : il n'y a rien à faire. Si vous ne les entretenez pas artificiellement par un désir d'action, les pensées naissent et disparaissent toutes seules, sans que rien ne soit requis de votre part. Car, comme disait l'autre :

"Tout ce qui a la nature d'apparaître va également disparaître."  
-- Bouddha

Donc : quand je suis inquiet, triste ou angoissé, d'abord je gère l'émotion – en ne faisant rien – puis ensuite, seulement, j'agis. Mais souvent, à ce point, l'action n'est plus nécessaire. Ce qui me laisse le temps d'écrire tous ces articles à la con.

Sondage du Jour

J’ai retrouvé une mine de dessins de confinement dans un dossier égaré. Vous n’êtes pas sortis de l’auberge.

Ennuyez-Vous ! (Essence de la Productivité)

Quand je trouverai le temps, j'écrirai un article récapitulatif sur mon approche de la productivité et sur le chemin que j'ai parcouru dans ce domaine.

Contrairement à ce que j'imaginais avant, la productivité n'est pas l'art d'en faire plus. ("Tiens, j'ai une heure de libre entre le sport et mon cours de cuisine, je vais apprendre la trompette !"). La productivité, c'est la recherche d'un alignement entre qui on est – ce qu'on croit, ce qu'on veut dans la vie, ce qui est le plus important pour nous – et la façon dont on passe son temps au quotidien. Trop souvent, les heures, les jours puis les années sont phagocytés par la routine, l'urgence, la fatigue. On finit par être en pilote automatique au service d'un travail, du train-train ou d'objectifs personnels qui ne sont plus à jour.

Retrouver une direction qui nous est propre, puis assurer que cette direction infuse dans chaque minute de chaque journée, c'est ça, l'essence de la productivité.

Mais comme je n'ai pas le temps – ironie ! – je vais partager cette vidéo de Pursuit of Wonder, une chaîne que je suivais à l'époque où j'étais beaucoup sur youtube. Si vous passez les sponsors de début et que vous affichez si besoin les sous-titres français (qui sont très corrects : options dans la barre de lecture > sous-titres > traduire automatiquement > français), vous aurez un aperçu d'une philosophie que je partage : l'importance du vide, de l'oisiveté, de l'ennui.

Chaîne que je recommande. J'aime les sujets qu'ils choisissent – des essais philosophiques ancrés dans le stoïcisme, le zen et bordant sur la science fiction – j'aime la voix hypnotique du type, j'aime les illustrations simples mais claires.

D'autres vidéo qui m'avaient plus : dans un genre un peu science fiction, il y avait The Machine. Dans le genre plus compte moral, il y avait The Nova Effect. Et dans le genre plus histoire, Every person is one choice away from everything changing. Enjoy.

Je Ne Sais Pas Quoi Lire... Ah si ! (Monstres Bibliques, Capitalisme et Fin de Vie)

J'ai décidé de ne pas renouveler mon abonnement au New York Times et au New Yorker pour voir ce que ça fait. Ne pas m'engoncer dans mes habitudes de lectures et découvrir de nouvelles pistes.

Donc récemment, je me suis trouvé un peu con à certains moments clé où j'ai l'habitude de sortir mon portable. (Pause déjeuner : check. Pause prolongée aux toilettes : check. Avant de me coucher : check.)  Un peu comme quand j'avais arrêté Facebook & Co : comment je faisais avant ? Qu'est-ce que je lisais avant que mon téléphone portable ne consume ma vie toute entière ?

J'ai réfléchi à m'abonner à des newsletters gratuites. Mais encore rien trouvé de concluant.

Et puis par hasard, je suis tombé sur une mine.

Alors désolé : c'est en anglais. Je fais toujours un effort pour ne parler ici que de choses accessibles dans les deux langues ou dont il existe (ou dont je peux faire) une traduction. Mais là, que dalle. 

Je suis tombé par hasard (via ce podcast de Lex Fridman) sur cet article incroyable : Méditations sur Moloch.

Moloch, c'est un monstre biblique qu'Allen Ginsberg a utilisé dans un fameux poème (en anglais ici, en français , ça commence dans la deuxième partie) pour décrire ce qui ne va pas dans le monde. Beaucoup pense qu'il décrit le capitalisme, mais justement : dans méditations sur Moloch, l'auteur décortique le poème et montre que s'y cache quelque chose de beaucoup plus sombre.

Moloch, c'est la course vers le bas à laquelle chacun est obligé de participer même quand on sait qu'elle est mauvaise pour tous. C'est la nécessité d'abandonner des valeurs profondément humaines pour gagner des avantages compétitifs qui nous laisseront à la traîne si on ne fait pas comme les autres. C'est cette force qui pousse vers la survie ("l'état de subsistance", dit-il) plutôt que vers la vie et qui, une fois cette période transitoire d'abondance passée, nous réduira tous en esclavage.

Et dans ce très long article extrêmement bien écrit, bourré d'exemples et de références, il dévoile une vision absolument Lovecraftienne du monde dans laquelle les humains sont à la merci de monstres ancestraux qui s'affrontent les uns les autres. Et l'un d'eux, celui qui est probablement en train de gagner : Moloch.

Ça m'a fait réfléchir sur la nature humaine, sur notre époque et sur ce qui nous attend, notamment en terme de contraction énergétique à l'heure de l'avènement de l'Intelligence Artificielle – l'un des monstres qui pourrait travailler pour nous ou contre nous.

L'article m'a tellement saisi que je suis allé voir un peu autour. L'auteur se fait appeler Scott Alexander, il est psychiatre de son état et... il a écrit des tartines et des tartines. Genre des centaines de posts. J'en ai lu trois ou quatre au hasard et j'ai été subjugué par le détail, l'intelligence, l'originalité.

Par exemple, si vous avez le coeur bien accroché et que vous voulez réellement prendre conscience de votre condition de simple mortel – et, je répète, si vous parlez anglais – vous pouvez lire Who by very slow decay qui parle de comment les médecins affrontent la fin de vie – qui ressemble un peu à How doctors die dont j'avais parlé il y a longtemps et qu'il mentionne. (Coïncidence qui m'a fait cliquer sur l'article : "Who by very slow decay" est une phrase de la chanson de Leonard Cohen "Who by Fire" que j'ai découverte la semaine dernière.)

Encore mieux : quand on va sur son blog, il a une liste longue comme le bras de liens vers d'autres auteurs qui tiennent des blogs tout aussi fournis : économie, science, rationalité, etc... Que des sujets de geeks qui m'intéressent. Et sa marotte à lui, le fil qui lie ses articles, c'est l'altruisme efficace (effective altruism) qu'il explique extrêmemement bien.

Moralité : faisons le vide pour découvrir du neuf.

 

Oiseau de Sang

Un autre de mes hobbies sans avenir : l'art génératif. Je programme en c avec la librairie Cairo pour faire des petits dessins. Je fais ça certains dimanches après-midi au lieu de bricoler.

Art génératif : que voyez-vous dans cette tâche ?

Là : test d'une nouvelle fonction de bruit pour diriger le pinceau. C'était pas à partager mais le résultat m'a surpris et comme je n'ai rien publié depuis une semaine...

À terme, j'aimerais utiliser cette technique en animation pour illustrer certains essais vidéo.

Parce que oui, c'est l'avantage : une fois un premier dessin réalisé, il est facile de bidouiller certains paramètres pour créer des animations psychédéliques très évocatrices.