Je finis par penser que seule la présence compte. Qu'il n'y a, finalement, pas de bonne ou mauvaise action, pas de bonne ou mauvaise décision : seulement de bonnes ou mauvaises raisons d'agir.
Mais que veut dire, au juste, "être dans le présent" ?
Physiquement, bien sûr, on ne peut pas être ailleurs. Personne n'a encore mis un pied dans le passé ou le dans futur. Donc techniquement, on est tous "dans le présent". Mais on peut être dans le présent sans être "dans le flot" du présent.
Être dans le flot du présent, c'est recevoir et se laisser transformer par ce qui se passe à chaque instant.
Quand tout va bien, les évènements, les sensations et les pensées naissent, suivent leurs cours puis disparaissent. Ce cycle court permet d'être sans cesse ouvert à ce qui se arrive ici et maintenant. On peut recevoir le prochain rayon de soleil, la prochaine idée ou la prochaine conversation parce qu'on n'est pas resté pas bloqué sur le contenu précédent. Tout se renouvelle sans cesse en interaction avec le contexte.
Pourtant, souvent, on reste coincé.
On "s'accroche" à une idée, à une pensée ou à une anxiété que, consciemment ou inconsciemment, on fait tourner en boucle. Ce vortex occupe tout l'espace mental : les rayons de soleil et les prochaines conversations sont bloquées à l'extérieur. Le présent continue de se dérouler mais on n'en tient plus compte ; on ne se laisse plus transformer par ce qui arrive. On est "bloqué" au point du passé où s'est formée la pensée qu'on entretient.
Les boudhistes appellent ça un attachement.
Je suis "attaché" à un contenu mental comme un bateau serait attaché à la rive. Le résultat est le même : je ne suis plus porté par le flot du courant.
Quelques exemples d'attachement. Un : je dois me rendre à tel endroit pour telle raison. Le trajet n'est qu'une période de transition sans importance entre moi et mon objectif. Tout évènement qui me retarde est un obstacle. Je suis trop attaché à la destination pour être ouvert à ce qui se passe. Deux : j'ai décidé de dire telle chose à telle personne. La conversation n'est qu'un passage obligé pour déclencher la réaction que je souhaite. Je suis trop attaché au résultat de l'échange pour être ouvert à l'être humain en face de moi. Trois : j'ai décidé que tel évènement devait se passer de telle façon. Tout écart à mes prédictions est un échec. Je suis trop attaché à ma vision pour être ouvert à ce qui se produit réellement – y compris aux bonnes surprises.
Dans chaque cas, je privilégie l'idée à la réalité ; je suis trop attaché à ma construction mentale pour recevoir – et donc composer avec et profiter de – ce qui survient réellement.
Or, j'en viens maintenant à penser que rien n'est plus important que d'être dans ce flot du présent. C'est sûrement plus important que l'action elle-même.
Par là, je veux dire qu'il est impossible de juger de la qualité d'une action sans réelle présence. Si je suis coincé dans un espace mental qui n'est pas mis à jour, tous les indicateurs que je regarde pour prendre mes décisions sont datés. Je réagis à une vision du monde construite dans le passé plutôt qu'à celle qui se manifeste devant moi.
Inversement, lorsque je suis dans le flot, il n'y a plus de décision à prendre. Le geste, comme un réflexe, s'adapte à la situation. Il n'y a plus de bonne ou de mauvaise décision. Seulement l'action.
Ainsi, mon rôle n'est pas de réfléchir intellectuellement à ce qu'il faudrait faire, ni de chercher la solution idoine. Elle n'existe pas. Mon rôle est de dénouer, en douceur, un par un, chaque attachement que je rencontre. Puis de laisser faire le courant.
UPDATE : Si vous avez des doutes, voici une jolie confirmation par Francis Sanzaro dans cet article du New York Times. Pour les anglophones.