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Films, pièces, expos

Who Not How

Je garde le titre anglais car la traduction française – comme souvent pour les livres de développement personnel – semble avoir été écrite par le charlatan ambulant qui vend des potions au mercure dans La Petite Maison dans la Prairie. Ne faites pas semblant : vous voyez très bien de qui je veux parler. Ou alors par le méchant de "Peter et Eliot le Dragon" qui veut découper Eliot pour en faire du sirop contre la toux.

Bref : Who not How est un livre que j'avais besoin de lire.

Parce que, voyez-vous, depuis que je fais des films, j'ai pris l'habitude d'en faire trop dans trop de domaines. Ce qui a des avantages : ça m'a donné une vraie connaissance de beaucoup d'aspects de la fabrication d'un film, aussi bien au niveau technique, humain, qu'administratif. On ne me la fait pas.

Mais ça a aussi une ribambelle de désavantages qui finissent, lorsqu'on fait le calcul, par être bien plus handicapants sur le long terme :

  • Je perds du temps à réinventer la roue dans chaque domaine,
  • Je deviens médiocre à plein de tâches que les spécialistes font infiniment mieux que moi,
  • Pendant ce temps, je ne me concentre par sur le ou les talents où je pourrais réellement faire une différence.

D'où cette idée développée par Dan Sullivan :

Face à un problème ou un défi, ne plus se demander "comment faire ?" mais tout de suite commencer par "qui peut m'aider ? À qui déléguer cette tâche ?".

Ce qui est un art, également.

D'abord, il faut clairement définir la mission : que cherche-t-on à accomplir ? Quelle direction suivre ? Comment savoir quand la tâche est terminée ?

Ensuite, il faut trouver la bonne personne et lui transmettre la vision juste : expliquer pourquoi c'est important, montrer l'impact que ça va avoir, les possibilités qui vont s'ouvrir dans le futur.

Enfin – et c'est souvent le plus dur – il faut faire confiance. Ne pas micro-manager. Laisser la personne qu'on a choisie faire ce qu'elle sait faire de la façon qu'elle connaît. Car si c'est la bonne personne, elle le fait mieux que vous de toute façon.

Bien sûr, ça pose des questions sur l'exploitation, la subordination, la responsabilité. Pour que ça ait du sens, il faut que la relation soit réciproque : la personne que vous trouvez est votre "qui" et vous devez être le sien. Vous cherchiez son type de profil, elle cherchait votre type de mission.

Par exemple : j'écris depuis l'enfance. Romans, pièces, scénarios. Avec la pratique, j'ai atteint une certaine maîtrise. Or, je rencontre régulièrement des professionnels – chefs opérateurs, comédiens, décorateurs, etc – qui n'ont aucun goût pour l'écriture et qui sont ravis de mettre leur talent au service de projets écrits et produits par d'autres. L'intérêt pour tout le monde est donc que, plutôt que d'apprendre à (mal) me servir d'une caméra, je me concentre sur ce que je sais faire et que j'aille chercher les bonnes personnes pour le reste.

Ça paraît évident. Pourtant, le premier réflexe est souvent de vouloir faire tout soi-même. Par égo, par désir de contrôle, par habitude. Parce qu'il n'est pas évident d'aller vers les autres.

Depuis quelque temps, notamment au sein de ma structure de production, j'essaie d'installer ce nouveau réflexe. Je ne fais plus : je délègue. Et souvent, ça marche. Le résultat est bien meilleur, le process beaucoup plus agréable et moins solitaire, et l'effet réseau ouvre de nouvelles portes. Quand ça ne marche pas, c'est souvent que j'ai mal défini les enjeux. Ou simplement que la mission elle-même n'en valait pas la peine.

C'est comme ça que j'ai trouvé sur Discord une armée de jeunes du monde entier pour réaliser les décors 3D de ma websérie Panique dans l'Espace. Ça n'a pas fonctionné avec tout le monde mais j'ai trouve deux perles, au Brésil et en Inde, avec lesquelles je vais continuer de collaborer.

Détail qui a son importance : Dan Sullivan, la personne à la source du principe de "Who not How" n'a pas écrit le livre lui-même. Il a délégué l'écriture à Benjamin Hardy, auteur de plusieurs livres de développement personnel. C'est devenu un bestseller.

J'aurais Voulu Être Jeff Bezos

Aller voir les pièces des mes potes comédiens quand j'étais en école d'acteur m'a dégoutté du théâtre fauché, voire du théâtre tout court. Maintenant, soit je vais à la Comédie Française voir des classiques, soit tant pis : je regarde Netflix.

C'est donc plus pour passer une soirée entre potes que j'ai suivi le mouvement pour aller voir J'aurais voulu être Jeff Bezos d'Arthur Viadieu au Théâtre de Belleville, avec mon pote Bob Levasseur. Je ne m'attendais pas à grande chose. Et ça dure une heure trente.

C'est devenue ma pièce préférée du monde entier.

Tout : le sujet, l'écriture, la mise en scène, le jeu de tous les comédiens. Je ne voulais plus que ça s'arrête. j'ai ri, j'ai été touché, j'ai appris. Ça redonne confiance en la création. Bravo les ami·e·s.

Alors ne les manquez pas tant qu'ils sont à Belleville.

Confession – Czeslaw Milosz

Comme souvent, j'ai acheté ce livre par hasard parce que je l'ai ouvert au milieu et qu'une phrase m'a plu. En l'occurence (de mémoire) : "Tu n'aurais pas envié le ténor au manteau en poil de chameau si tu avais deviné sa peur et su comment il allait mourir." Puis j'ai laissé passer quinze ans. Il y a deux jours, je suis retombé dessus et j'ai lu le premier poème qui m'a enchanté :

Seigneur Dieu, j'ai aimé la confiture de fraise
Et la sombre douceur du corps féminin.
Comme aussi la vodka glacée, les harengs à l'huile,
Les parfums : la canelle et les clous de girofle.
Quel prophète puis-je donc faire ? Pourquoi l'esprit
Aurait à visiter quelqu'un de pareil ? Tant d'autres
À bon droit furent élus, dignes de confiance.
Mais moi, qui me croirait ? Car ils ont vu
Comme je me jette sur la nourriture, vide les verres,
Et regarde avidement le cou de la serveuse.
En défaut et conscient de l'être. Désireux de grandeur,
Sachant la reconnaître où qu'elle soit,
Et pourtant d'une vue pas tout à fait claire,
Je savais ce qui reste pour les moindres comme moi :
Le festin des brefs espoirs, l'assemblée des fiers,
Le tournoi des bossus : la littérature.

-- Czeslaw Milosz, 1986

Rien d'Autre à Dire (Pas Gai mais Beau)

Bien sûr, vous connaissez ce titre depuis belle lurette. Parce que vous êtes cools, vous.

Mais saviez-vous que Dan Klein, le chanteur de The Frightnrs, est mort de la maladie de Charcot ? Je trouve que ça fait quelque chose d'écouter une chanson en sachant que :

  1. Le chanteur est décédé avant la sortie de son premier l'album,
  2. Il savait qu'il allait mourir au moment d'enregistrer le morceau,
  3. On va tous mourir.

Alors oui : c'est du reggae. Mais du reggae new yorkais, me dit-on.

Et quand vous entendrez s'élever les premiers notes de son chant sinueux et mélancolique*, je pense que, comme moi, vous serez conquis :

Till Then, par The Frightnrs

* I never chose to love so sweet a rose, I suppose I was just made that way. (Je n'ai jamais choisi d'aimer une rose si délicate, je suppose que j'ai simplement été fait comme ça.)

Objets Trouvés et Radiations : Kramatorsk

Donc je résume :

En 1980, un immeuble est fini d'être construit à Kramatorsk, Ukraine. L'année suivante, une jeune femme de 18 ans vivant dans l'appartement 85 meurt soudainement. Deux ans plus tard, c'est son frère de 16 ans qui décède. Puis la mère. Malgré ces décès en série – tous de leucémie – les habitant ne sont pas plus inquiets que ça. Les docteurs pensent qu'il s'agit "d'une mauvaise hérédité".

Une nouvelle famille emménage. Cette fois, c'est le fils qui meurt d'une leucémie foudroyante. Le père décide de mener son enquête.

Résultat de l'enquête (tenez-vous bien) :

En 1970, une capsule de cesium extrêmement radioactive faisant partie d'un compteur de rayonnement est égarée dans la carrière de Karansky. Les recherches infructueuses sont abandonnés après une semaine. Les pierres extraites de la carrière sont utilisées pour la construction du bâtiment 7 rue Mariyi Pryimachenk. La capsule radioactive se retrouve dans le mur séparant l'apparement 85 et 52, juste à côté du lit des enfants.

Quatre morts, dix-sept irradiés.

Pourquoi je parle de ça ? Parce qu'une capsule radioactive vient d'être perdue sur une route quelque part en Australie. Si vous passez par là...

Le Meilleur Épisode de ma Série Préférée

Pour sortir un peu de Six pieds sous terre, The Wire, Mad Men ou The West Wing, il y a une série que j'avais découverte par hasard et qui m'avait épaté. Je l'ai regardée à nouveau cette semaine et elle m'a à nouveau transporté. Mais surtout, l'épisode 8 – ce que les scénaristes appellent le "turning point", où le(s) protagoniste(s) décide(nt) d'affronter leur destin – m'avait fait un effet boeuf. Ça n'a pas re-loupé.

La série est Halt and Catch Fire et l'épisode en question s'appelle "The 214's".

C'est agréable de voir une série pensée de A à Z. On n'a pas l'impression que les auteurs se piègent eux-même et doivent sans cesse justifier des bêtises inventées précédemment. Les personnages sont tenus. Ça va quelque part. Ça raconte quelque chose.

Dans ce huitième épisode, après les revers dramatiques qu'on attend avant le climax, les trois personnages principaux prennent la décision de sauter le pas et se jeter dans le vide. Sauf qu'ici, ce n'est pas l'exercice d'écriture mille fois vu. J'y ai cru. J'étais avec eux. Tout ce qui s'était produit précédemment a soudain pris sens et m'a donné envie de prendre la route avec eux pour aller au Comdex.

Et le générique, pour les amateurs, était quelque chose.

Impossible de trouver les saisons suivantes en VO. Et j'ai peut-être un peu peur d'être déçu. Mais si vous avez des pistes...

Les Truffes (ou Comment Blâmer les Victimes)

J'ai éclaté de rire devant cette séquence du documentaire Netflix Le Masque d'Olivier Bouchara et Jérôme Pierrat sur les escroqueries téléphoniques de Gilbert Chikli. J'espère qu'on ne m'accusera pas de piratage mais je n'ai pas pu m'empêcher de vous mettre une capture d'écran ici :

Quand le journaliste rétorque que les victimes ont été manipulées, la tête de Maître Kaminski n'a pas de prix. "Il ne faut pas inverser l'histoire" ose-t-il dire. Chapeau l'artiste.

Ce que j'avais adoré dans La Famille Addams (mais que j'ai détesté dans Mercredi)

Je profite d'avoir arrêté au milieu du premier épisode de Mercredi (j'ai essayé d'aller au bout, je promets, j'ai même arrêté puis repris) pour vous raconter ce que j'avais vraiment aimé dans le film de Barry Sonnenfeld La Famille Addams.

D'abord, oui : c'est un type d'histoire difficile à naviguer. C'est piégeux, pour un scénariste. Quand on suit une famille où tout est à l'envers, ou le mal est bien, où le haut est bas, et où toutes les valeurs sont inversées, le spectateur peut avoir un problème d'identification avec les personnages. S'ils aiment tant la tristesse et l'échec, quelle est leur motivation pour surmonter les obstacles que le film met sur leur chemin ?

La version de Sonnenfeld avait trouvé un bon équilibre. Mais pas seulement : il avait réussi à complètement renverser la vapeur. 

Sans rien perdre de l'esprit de la série, le film avait brillamment dépeint ce que de nombreux psychologues, sociologues et maîtres zen décriraient comme la famille parfaite. 

Si, je vous promets. Si vous ne me croyez pas, je vous encourage à revoir le film sous cet angle. Je ne pourrais pas faire la liste de toutes leurs vertus mais en voici quelques unes en pagaille :

C'est une famille unie où plusieurs générations vivent sous un même toit ; les parents sont amoureux et professent sans cesse leur attachement en public ; ils sont cultivés, vivent au milieu des livres et parlent plusieurs langues ; ils suivent leur passion sans juger les autres et sans se soucier de ce qu'on pense d'eux ; ils discutent ouvertement de la mort et cultivent un rapport avec leur ancêtres dont ils tirent une partie de leur identité ; ils aiment rire, faire la fête et dansent extrêmement bien ; l'éducation des enfants est construite autour du jeu, du dialogue et de la confiance ; malgré leur richesse, leur culture n'est jamais basée sur l'argent ni la possession ; malgré tout ce qui les sépare des autres, ils n'ont jamais peur des étrangers et sont extrêmement inclusifs, y compris avec ceux qui ne leur ressemblent pas et les jugent sévèrement.

Et lorsque le ciel leur tombe sur la tête, ils se serrent les coudes avec dignité.

C'était ça, la force et l'ironie du film : le véritable modèle, c'était la famille Addams. Pas la Famille Parfaite qui  juge le reste du monde en chemin vers l'église. (Mais dont certains membres trouvent une rédemption grâce aux Addams, justement.)

Je ne m'attendais pas à la même chose dans la version Netflix, bien sûr. Mais ils se sont pris les pieds dans le tapis, ai-je trouvé. Ils ont pris l'anecdotique du film pour en faire le coeur de la série. Et n'ont pas su naviguer l'inversion des polarités.

Bien sûr, tout le monde me dira que tout le sel se trouve dans la fin du premier épisode que je n'ai pas vue. Ou dans les épisodes suivants que je ne regarderai pas. Mais rassurez-vous : j'ai vu la danse de Mercredi sur internet. Je n'ai donc pas tout manqué.

Majorelle et ses Potes vont au Maroc

À Marrakech, je me suis trouvé par hasard au vernissage d'Un Hiver Marocain à la Mamounia, présentant des toiles de Majorelle et de ses contemporains. J'ai été soufflé.

C'est toujours un cliché de parler d'ombre et de lumière en peinture, mais c'est bel et bien ça qui m'a frappé. Évidemment, sur ordinateur, ça rend rien, mais regardez quand même ça :

Eugène Girardet - Campement Nomade Biskra
Eugene Girardet - Campement Nomade Biskra

Ce qui frappe, quand on le voit en vrai, c'est la luminosité de la montagne en arrière-plan. C'est ça qui attire l'oeil de loin et qui donne l'impression d'une photographie : malgré la précision et les contrastes du groupe au premier plan, tous ces gens sont dans l'ombre et la montagne resplendit au loin. C'est l'ancêtre du HDRI.

Pareil ici : c'est quand même audacieux de représenter les sujets principaux entièrement dans l'ombre, comme l'a fait Étienne Girardet. Ombre qu'on devine simplement grâce à la tâche de soleil en bas à gauche :

Etienne Dinet- Sous le Burnous
Etienne Dinet - Sous le Burnous

(En même temps ça s'appelle "sous le Burnous" donc c'est cohérent.)

Accepter de diminuer volontairement sa palette pour représenter l'absence de lumière et, dans un portion presque négligeable de la toile, révéler le feu du soleil.

Puis, bien sûr, il y a Majorelle : l'ombre n'est plus dans l'éclairage mais dans le sujet. Et pas qu'à moitié. Celle-ci m'a vraiment fait quelqeu chose :

Jacques Majorelle - Harmonie en noir
Jacques Majorelle - Harmonie en Noir

Choukrane les gars, choukrane.

PS: Et il y avait lui qui me regardait. Il a détourné les yeux au dernier moment :

Anonyme - Buste d'homme