Nos habitudes sont une aubaine et une malédiction.
Une aubaines parce qu'elles permettent de ne pas réinventer la roue en permanence. On se laisse guider par le train-train : les mêmes actions, dans le même ordre, produisent les mêmes résultats. On ne peut pas tout remettre en question chaque matin.
Une malédiction parce qu'elles nous emprisonnent. Une fois mises en place – depuis des années, des décennies – elles sont extrêmement difficiles à transformer. On fait ce qu'on fait parce qu'on ne sait pas faire autrement.
Une habitude ne requiert pas d'énergie mentale. En suivant le même trajet, les mêmes automatismes, on met une partie de son quotidien en pilote automatique afin d'être disponible pour le reste. Mais quand on veut changer – arrêter de fumer, commencer le sport, ne plus se ronger les ongles – l'effort nécessaire consomme une énergie qu'on ne peut plus utiliser ailleurs. Tout le reste en devient d'autant plus difficile.
On est la somme de ses habitudes.
De nombreux traits qu'on pense faire partie intégrante de notre identité sont en réalité des habitudes qu'on pourrait changer. Ce que les psychologues appellent "le déclaratif" ("moi je suis ainsi, j'aime ceci, je déteste cela, je fais toujours telle ou telle chose, etc") est souvent une excuse pour justifier une façon de faire qu'on n'a pas l'énergie d'amender.
Et puis c'est rassurant, la fatalité. Il est plus facile de dire "je suis comme ça" que d'essayer de faire autrement.
Ce lien entre identité et habitude est décrit par James Clear dans Atomic Habits. Notre culture aujourd'hui, dit-il, est le résultat de nos habitudes de lecture des dix dernières années. Notre santé, le résultat de nos habitudes alimentaires et sportives des dix dernières années. Nos finances, de nos habitudes de travail et d'épargne des dix dernières années.
Et la personne qu'on sera dans dix ans, le résultat des habitudes qu'on met en place aujourd'hui.
Mais ce que je trouve passionnant – et qui a été une véritable source de progrès au cours des dernières années – c'est de reconnaître notre ignorance presque totale de leur genèse.
Le plus souvent, on ignore comment sont nées nos habitudes. Plus elles sont anciennes, moins on sait. Et puisqu'elles contrôlent une grande partie de notre vie, cela revient à dire que, bon an mal an, on ignore pourquoi on agit. Pire : quand on nous pose la question, on affabule, on invente des excuses mêlant "je suis comme ça" aves des histoires fumeuses sur le passé, les croyances, la société... Tout plutôt que d'admettre qu'on ne sait pas.
Pensez-y : pourquoi mangez-vous trois fois par jour ? D'où vient votre rapport au travail, à la réussite, à l'échec ? Comment sont nées vos addictions ? Vos passions ? Pourquoi écoutez-vos cette musique, regardez-vous ces émissions, faites-vous confiance à tel groupe plutôt qu'à tel autre ?
D'où vient tout cela ? De vos parents ? De l'école ? De la télévision ? Du travail ?
Et surtout : si vous ne savez pas comment ni pourquoi ces habitudes se sont installées, comment savoir si elles sont vraiment bonnes pour vous ?